LES HYPOTHÈSES :
A défaut d’une date précise, il ressort des faits que je vous ai exposés, que l’on peut avancer l’hypothèse que le pavillon pourrait avoir été construit ou reconstruit :
→soit au XVIème siècle, comme noté une fois, sur son apparence et ses caractéristiques.
→soit dans la seconde moitié du XVIIème siècle, au début de la mise en œuvre de la 3ème tranche de dessèchement des marais, mais à l’initiative de quel personnage ? A cette époque, Mr de la Taste est militaire encore en service actif et il meurt en 1714.
→enfin, possibilité de construction au cours de la 1ère moitié du XVIIIème siècle, lorsque Mme de la Taste est autorisée à rétablir le port de Moricq en lieu et place de celui de Saint Benoist sur Mer ; d’ailleurs on a la preuve de son existence par la carte de Cassini dressée à cette époque. Nonobstant, rien n’indique que le pavillon a été construit par ou pour la Marquise de Lambert, veuve de la Taste ?
D’observations secondaires, mon cousin et moi-même avons pu démontrer que, dans de nombreux cas, les pavillons d’octroi vont par paire : ils sont construits de part et d’autre de la chaussée, cette dernière étant fermée par une barrière. Celui de Moricq est donc unique en son genre, sauf à se reporter à la configuration d’origine : à cette date, le pavillon apparait construit sur le port, adossé au canal des Bourasses qu’il enjambe.
Pour l’instant, on doit supposer qu’en 1762, lorsque Mme de la Taste vend ses terres, elle cède également le port de Moricq avec les droits et charges y incombant : droit de péage en contrepartie de l’entretien de la chaussée. En 1853, comme nous l’avons vu plus haut, l’État met fin à cette concession : par la connaissance d’un litige porté devant la justice, on apprend que l’Administration des Douanes loue à partir de cette même date, aux Sieurs Olliveau, leur maison de Moricq pour y loger ses services, et que cette Administration entend prolonger cette location au-delà de 1859…
Cette affaire soulève plusieurs questions : le service des Douanes percevait-il des droits (les fameux droits d’octroi) avant 1853 ? Les péages encaissés par Mme de la Taste étaient-ils constitutifs de ces droits ? Si oui, il y aurait eu une simple substitution du service encaisseur en 1853 ; sinon, aux droits payés à Mme de la Taste, se seraient substitués à cette date les droits de douane, pour l’État ? A un moment ou un autre, le service des Douanes a-t-il pu utiliser le pavillon dans le cadre de sa mission…lui laissant bien plus tard, lors de la suppression définitive des droits d’octroi en 1946, son nom ?
Nos conclusions provisoires seront les suivantes :
Puisqu’une seule fois cette date lui a été attribuée, rien ne permet de confirmer ou d’infirmer le XVIème siècle comme date possible de construction du pavillon.
Compte tenu des éléments ci-dessus rapportés et en l’attente des recherches toujours en cours, il peut paraitre plus vraisemblable d’envisager une construction dans la première moitié du XVIIIème siècle sans pouvoir préciser construit par qui et à quelle date !!! Le pavillon est alors érigé au port ou à proximité immédiate (puisque c’est sa vocation), tel que nous le connaissons dans le coude du Lay et enjambant le canal des Bourasses : il restera à cette place sans avoir égard à l’ultime déplacement du port de Moricq au plus près du nouveau cours du Lay.
Cette première moitié du XVIIIème siècle coïncide avec l’époque où les travaux engagés augurent d’une certaine stabilisation du paysage (rétablissement du port, dessèchement du marais avec peut-être alors le creusement du canal des Bourrasses, réalisation ou entretien du chemin reliant le port au village, avant la 4ème et dernière phase d’aménagement au XIXème siècle.
N.B : la première moitié du XVIIIème siècle, qui apparait de plus en plus comme la date de référence (tout au moins pour l’instant au vu de l’avancement de nos recherches), a été validée par M Yannis S, Conservateur du Patrimoine, grâce à la photo de l’arrondi de la cheminée que je lui ai fait parvenir.
Depuis la visite de la semaine dernière, il semblerait que nous approchions de la fin de nos recherches ; en effet, l’une des participantes, Lysiane CH-CH nous apprit qu’elle était née à la grande Lamberde que ces parents avaient achetée : gamine, elle plongeait et passait sous l’octroi et se rappelle qu’une date est inscrite sur l’arche ! ; d’autre part, elle pense que sa mère, vivante, a conservé tous les papiers relatifs à l’achat de la ferme. J’attends, vous vous en doutez, de lire ces papiers dans l’espoir d’y trouver une date concordante, ou qu’un plongeur nous confirme l’existence d’une inscription relative, soit à la construction de l’octroi, soit au creusement du canal des Bourasses.
Le dimanche 14 septembre 2014 devait être un grand jour, puisque, suite à ces révélations de Lysiane CH-CH, Pierre P, le Président du Syndicat de chasse d’Angles, embarquait dans une annexe, muni d’une forte lampe, afin d’inspecter la voûte de l’Octroi sous laquelle coule le canal des Bourasses, à la recherche de cette fameuse date ; hélas, la recherche s’avéra vaine : les parois de la voûte servent de support à de la mousse, et surtout, les étais du pont viennent « coller » à la clef de voûte de l’arche, clef où ,la plupart du temps, la date de construction se trouve inscrite. L’un des participants, entre deux verres de rosé, me propose un livre consacré à la ville de Saint Benoist et à son port, avec des références à la fameuse Madame de La Taste.
J’ai donc passé quelques heures à la lecture de ce livre, dans l’espoir, qui se révélera vain lui-aussi !, d’y trouver des dates concordantes avec l’établissement du port de Moricq. Par contre, il me parait intéressant de vous livrer quelques passages concernant le port de Saint Benoist et l’entregent de Madame de La Taste.
Les Romains ont envahi notre région entre 58 et 51 avant JC. Ils aménagent le vaste estuaire du Lay et y créent des ports ; celui de Saint Benoist est vraisemblablement l’un d’eux, car, à l’arrivée des Vikings entre 856 et 862, le port était déjà construit et la population jugée assez importante.
Lors des premiers dessèchements des marais au XIIème siècle, des travaux sont effectués sur l’achenal de Saint Benoist appelé plus tard Rivière de Saint Benoist ; achenal qui était l’un des trois bras de l’embouchure du Lay ; le port était sur cette rivière et se situait à l’endroit du plan d’eau actuel. On peut encore voir l’emplacement de cette voie d’eau nommée « la gounelle » depuis le dernier dessèchement du marais.
Aux XVI et XVIIème siècles, le port de Saint Benoist entretenait des rapports actifs avec la Hanse, cités marchandes d’Allemagne du Nord, la Hollande et l’Angleterre, où des navires venaient faire de grands chargements de sel des marais salants de Curzon, de vin et de blé, apportant en contrepartie du brai (sorte de goudron issu de la distillation de la houille, servant pour calfater les bateaux), de la résine et du charbon de terre. De Bayonne et de Normandie, abordaient des bateaux pour des chargements de sel, des embarcations faisaient des cargaisons de blé pour Nantes et transportaient blé, bois et bétail pour l’Ile de Ré. L’orge du Bas-Poitou, très recherchée pour faire de la bière, car de qualité supérieure, était envoyée en énormes quantités vers l’Angleterre. On chargeait les bateaux par gabares et les dépôts de marchandises se faisaient sur le bord du marais.
Dans l’élection des Sables en 1698, il y a huit ports plus petits que celui des Sables « où il peut entrer des navires de 150 tonneaux » : y figure Saint Benoist, en compagnie de La Tranche, Jard, Saint Gilles, la Barre de Monts, Beauvoir, l’Ile de Noirmoutier et l’Ile d’Yeu. Dans ces ports, on recense 1 300 matelots, 30 navires et 204 barques.
Le port de Saint Benoist était surveillé par la compagnie des dragons garde-côtes, corps militaire de cavalerie créé au XVIème siècle et qui résidait dans une très belle demeure au 5 rue du Bas du Bourg.
Les côtes maritimes du Poitou étaient divisées en 6 capitaineries garde-côtes : Luçon, Les Sables d’Olonne, la Barre de Monts, Noirmoutier, l’Ile de Bouin et Saint Benoist, cette dernière se situant près du marais aux numéros actuels 14 et 16 de la rue de l’Église.
Les guerres, l’augmentation du tonnage de la marine marchande, la perte de notre empire colonial, la concurrence avec les armateurs anglais, la concentration du trafic sur La Rochelle amenèrent au XVIIIème siècle la décadence des ports du Bas Poitou, seul celui des Sables gardant une partie de son activité.
Et en 1720, on retrouve…Mme Catherine Henriette de Lambert, veuve de La Taste : elle devient, par acquisition, propriétaire de Moricq ; et pour donner plus de relief à sa terre, sur les conseils de son procureur fiscal Burgaud elle obtient du roi Louis XV l’autorisation de transporter à Moricq l’entrepôt du commerce qui se faisait à Saint Benoist : vous connaissez déjà l’histoire dans les paragraphes précédents !
Dans un mémoire écrit par un groupe de propriétaires du marais de Moricq, il est écrit : « dans tel état de choses, les opérations précédemment faites devaient être anéanties comme frauduleuses et recommencées ». A cette date, 1729, le port était toujours celui de Saint Benoist ; avant de le transférer, il fallait procéder aux travaux de dessèchement et l’on peut penser raisonnablement que c’est vers 1737 que furent achevés ces travaux. Pour les raisons évoquées ci-dessus, l’activité du port de Moricq se réduisit très vite en cabotage, desservant principalement l’Ile de Ré et approvisionnant les grands ports de Nantes et La Rochelle.
Je vous livre un autre extrait, provenant d’une « Description du département de la Vendée » par Cavoleau.
« En 1815, le Lay est navigable depuis son embouchure dans le Pertuis Breton jusqu’à Mareuil sur Lay d’où il part une grande quantité de bois, de charbon, de mérains, de feuillards pour la Charente Inférieure. Il part du port de Moricq une grande quantité de blé fournie par le canton des Moutiers.
En 1835, la navigation se termine au port de Moricq ; mais ce n’est qu’un simple hameau composé d’un très petit nombre de maisons, où l’on ne trouve ni négociants, ni magasins, rien en un mot de ce qui former un entrepôt soit pour l’importation, soit pour l’exportation. Il est certain cependant que toute navigation qui ne sera pas dirigée vers un lieu d’entrepôt un peu considérable, perdra la moitié de ses avantages…Le port de Moricq n’a jamais été fréquenté que par les habitants de la rive gauche du Lay
En 1841, dans le port de Moricq qui a remplacé celui de Saint Benoist, le Lay est encore appelé par les navigateurs la Rivière Saint Benoist ; c’est à présent un port important et pourtant ce lieu est demeuré, pour ainsi dire, inhabité. Moricq n’est encore qu’un simple hameau, sans négociants et presque sans magasins et il ne s’y trouve rien de ce qui peut faciliter le commerce. On embarque à Moricq beaucoup de grains et de bois. »
Remarques : la date de 1737 avancée plus haut pour la finition des travaux peut correspondre à ceux concernant l’érection du port, les travaux de dessèchement s’achevant en 1730 comme écrit précédemment.
l’auteure de cet ouvrage sur le port de Saint Benoist nomme Mr de La Taste comme étant, vue sa position à la Cour de Louis XV, à l’origine , en 1722, de l’autorisation faite à Mme de La Taste, de transférer l’activité du port de Saint Benoist à Moricq : or Mr de La Taste meurt en mai 1714.
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